Vous me trouvez peut-être sévère avec le gouvernement du Québec. Quand on introduit un revenu de base, il faut bien commencer quelque part. Voici ce que j'ai écrit en décembre 2016:
Ni universel, ni individuel, ni inconditionnel.
C’est à Voltaire que l’on doit ce bon mot: le Saint Empire romain n'était en aucune manière ni saint, ni Romain, ni empire. De la même manière je suis convaincu que le Revenu de Base, qui sera probablement instauré dans les dix prochaines années, ne sera ni universel, ni individuel, ni inconditionnel, caractéristiques qui le définissent pourtant.
Une allocation universelle est tout simplement trop chère. Seul l’Alaska peut se permettre de distribuer une part de ses revenus de pétrole à chaque habitant, homme, femme et enfant. Donner à tous le même montant pour en récupérer une bonne part sous forme d’impôt peut sembler illogique. C’est pourquoi la plupart des propositions sérieuses sont conçues sous forme d’impôt négatif sur le revenu (INR). En fait, il existe déjà dans les systèmes fiscaux canadiens fédéral et provincial des mécanismes qui fonctionnent comme INR avec déboursement réguliers.
L’unité de base de notre société c’est la famille. Les statistiques sont tenues par ménage. Un individu n’est qu’un couple divisé par la racine carrée de deux. Ceci n’est en partie que la reconnaissance des économies d’échelle de la vie collective. Il n’en coûte pas quatre fois plus pour vivre dans une famille de quatre que de vivre seul, seulement deux fois (le coût de vivre seul fois la racine carrée de 4). Au Québec, deux individus, sur l’aide sociale, partageant un appartement recevraient chacun $623 par mois pour un total de $1246. À un moment donné, le gouvernement va considérer qu’ils sont conjoints de fait et couper leurs bénéfices à $965 en tout (le gouvernement ne suit pas la règle de la racine carrée). Le fait que ces personnes ne partagent pas le même lit ou bien sont frères et soeurs n’est pas pertinent. L'individualité systématique soulèverait le problème de “la femme du banquier”. Le banquier est très riche, mais son épouse qui reçoit tous les bienfaits de cette richesse n’a aucun revenu personnel et serait admissible aux subventions. Bien sûr, on plaide avec raison que ces femmes (de tous les niveaux sociaux) sont souvent prisonnières, incapables, par exemple, de fuir une relation abusive.
Finalement, les gouvernements sont réticents à abandonner la conditionnalité des prestations, relent paternaliste de la distinction entre les pauvres méritants et non méritants. L’engagement d’une démocratie libérale à fournir à tous une éducation de qualité n’est pas du paternalisme, mais la reconnaissance d’un droit fondamental. Ce droit s’étend aux citoyens à la fin de la vingtaine, début trentaine à mesure que les emplois pour cette génération disparaissent et que ceux qui demeurent requièrent plus de qualifications. Aujourd’hui, tous les programmes d’aide gouvernementale non reliés à la santé reposent sur la condition de recherche d’emploi. L’aide elle-même ne doit en aucun cas compromettre les mesures incitatives au travail. Il y a un côté économique à cette position: la peur de la flambée des salaires, la chute des profits et l’écrasement de l’économie si personne ne veut plus travailler. L’autre part est idéologique: le travail et les études sont là pour développer et protéger le “capital humain.” La sagesse gouvernementale plutôt que la liberté individuelle décide comment ceci est défini.
Bien que je sois optimiste que le Revenu de Base verra le jour de mon vivant, je suis prêt a accepter une version imparfaite et laisser aux générations futures la tâche de l’améliorer.
Pierre Madden
Publié antérieurement sur le site du Basic Income Earth Network, traduction de l’auteur
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