Lorsque j'ai rédigé ce compte-rendu en 2016, le Parti Libéral du Québec venait de tenir un forum sur les politiques sociales où le revenu de base occupait une place prépondérante. Le premier ministre avait commandé un rapport sur la question à son ministre qui était un spécialiste en la matière. J'avais de bonnes raisons d'être optimiste tout en demeurant réaliste. Jamais je ne m'attendais de la part de Blais à ce qu'on ne peut qu'appeler une trahissons de principes fondamentaux, qu'il sacrifie à la basse politicaillerie. (Voir le billet sur le projet de loi 173)
Reportons-nous d'abord à cette époque plein d'espoir.
Le 12 et 13 novembre 2016, j’assistais à un congrès tenu par le Parti libéral du Québec.
Le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, accompagné de son collègue aux finances de l’État, confirmait qu’un comité d’experts rendrait un rapport préliminaire sur le revenu de base au printemps. L’Ontario vient tout juste de livrer un document de travail sur un projet pilote qui démarrerait en avril 2017. Québec ne semble pas envisager l’idée d’un projet pilote.
Durant son exposé, le ministre Blais accordait beaucoup d’importance aux principes sous-jacents au développement du projet de son gouvernement :
Le développement du capital humain (comme l’éducation, par exemple)
L’obligation de se protéger contre certains risques (avec, par exemple, l’assurance chômage et santé)
La redistribution des revenus
Le discours du ministre était fortement centré autour des incitatifs au travail ou à la formation (spécialement pour les analphabètes ou les personnes sans diplôme d’études secondaires). Le principe d’inconditionnalité, aspect fondamental du revenu de base, ne fait donc pas partie du plan du gouvernement.
À la deuxième journée du congrès, c’était au tour du ministre de me demander s’il avait répondu à ma question. j'ai donné ma situation personnelle comme exemple J’ai 62 ans, donc trois années me séparent de ma pension de vieillesse du Canada, laquelle suffit généralement pour sortir les gens de la pauvreté (en tout cas, ça fonctionne pour moi!). Pourquoi le gouvernement s’intéresserait-il au développement de mon capital humain? Le ministre répond : « Dans un cas comme le vôtre, il faudrait reculer dans le temps pour voir quels sont les choix que vous avez faits. » J’ai plusieurs diplômes universitaires qui n’aident pas son argument. Je suis néanmoins sous-employé ou bien non employable.
Le ministre ne pouvait que répondre : « J’aurais besoin d’en connaître plus sur votre cas particulier.» Et c’est ce que le gouvernement fait et fera encore à toutes ces personnes qui sont considérées comme étant « aptes au travail ». Un petit inconvénient bureaucratique pour celles « inaptes au travail » sera supprimé et leur insuffisante prestation sera bonifiée, en puisant à même les fonds autrefois utilisés pour les personnes « aptes », à mesure que celles-ci reprennent le boulot. Le gouvernement ne voit aucun problème avec la loi adoptée dernièrement (Loi 70 : Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi). Le gouvernement souligne les mesures positives qui sont imposées pour aider les participants à intégrer le marché de l’emploi. Les personnes qui préfèrent une approche non paternaliste («Donnez-moi l’argent et laissez-moi faire mes propres choix ») sont pénalisées.
En fait, l’ironie, c’est qu’avant d’entrer en politique, le ministre Blais a écrit un livre pour défendre un revenu de base pour tous. Et il m’a confirmé qu’il croit toujours en ce qu’il a écrit il y a 15 ans. Au Canada, les gouvernements fédéral et provincial remboursent tous deux la taxe de vente partiellement. Ici, au Québec, le Crédit de solidarité rembourse en partie la valeur estimée qu’ont payée les consommateurs. Plus votre revenu annuel augmente, plus le transfert mensuel diminue. Il fonctionne donc comme un impôt négatif sur les revenus. Le ministre fut questionné sur le fait que cela pourrait être un premier échelon vers un revenu de base. Il a seulement répondu que cela constituerait «une approche plus radicale.» Évidemment, les crédits d’impôt n’ont pas d’impact sur le «capital humain.»
Vous pouvez être certains que je lirai à nouveau le livre de François Blais lorsque le rapport de son groupe d’experts nous parviendra l’an prochain.
Traduit de l'anglais par : Alexandre Chabot-Bertrand; mise à jour 2 mai 2018